Exposition Sarah Bernhardt : la divine était connue par delà les mers
Véritable égérie mondialisée de la Belle Epoque, tous et toutes voulaient voir, approcher ou même toucher ce « monstre sacré » face auquel aucune scène – théâtres classiques ou chapiteaux de cirque de 5000 places – ne résistait.
Aussi talentueuse que dotée d’un tempérament enflammé à l’image de sa chevelure « couleur du diable », Sarah Bernhardt était autant célèbre en France que sur les cinq continents.
Cette notoriété hors-norme a préfiguré celle des superstars mondiales qui lui succéderont telles que Joséphine Baker ou, plus près de nous, les Madonna, Michael Jackson, Beyoncé et autres Taylor Swift.
L’exposition au Petit Palais, en l’honneur du centenaire de sa mort, s’achève ce 27 août. L’occasion d’approcher près de 400 œuvres et objets ayant appartenu à cette artiste polymathe, tout à la fois comédienne, peintre, écrivaine ou sculptrice.
Un jeu du sort
La vie de Sarah Bernardt ressemble à s’y méprendre à la destinée de Cendrillon ou From Rags to Riches comme disent les américains : née dans un foyer misérable pour s’éteindre auréolée de gloire.
Rien ne prédestinait cette fille de courtisane – exerçant dans une maison close – à monter sur les planches et à devenir la “Divine” Sarah.
Et pourtant c’était sans compter sur un coup du destin qui lui permit de ne plus connaître la tragédie…que sur scène.
Son public appréciait tout particulièrement son jeu, excellant dans des pièces classiques (Shakespeare, Rostang, Dumas fils, Wilde…), et sa capacité de “se donner la mort comme personne” devant une foule d’admirateurs médusés, de Paris à New York, en passant par Lima et Saint-Pétersbourg.
Autoritaire, la tragédienne avait coutume de dire « si vous ne faites pas ce que je veux, j’arrête de mourir ».
Le monde doit ainsi à une connaissance de sa mère, le duc de Morny – demi-frère de Napoléon III- le soin d’avoir financé ses études d’art dramatique.
Très vite ses études au Conservatoire puis son arrivée à la Comédie Française révèlent un talent inné qui fera dire plus tard à Mark Twain : “il existe cinq catégories d’actrices : les très mauvaises, les mauvaises, les bonnes, les très bonnes et Sarah Bernardt.”
Après avoir joué dans des petits rôles, elle connaît en 1872 le succès avec deux pièces : les Passants où elle se travestit et Ruy Blas où elle interprète la reine d’Espagne. C’est alors que l’auteur de la seconde pièce, un certain Victor Hugo lui donne le surnom de “voix d’or”, l’actrice étant de son aveu l’une des rares à le faire pleurer.
Membre de la Comédie Française, elle s’avère vite mécontente des rôles qu’on lui attribue. Elle franchit un cap lorsqu’elle gifle une sociétaire qui l’avait malencontreusement bousculée sur scène.
Claquant la porte de l’institution avec “verbe et fracas” suite à l’échec commercial de l’Aventurière en avril 1880, elle publie dans la presse une lettre de démission frôlant l’insolence : “C’est mon premier échec à la Comédie Française, ce sera le dernier.”
Attaquée pour rupture abusive de contrat, elle est condamnée à payer au Français cent mille francs-or en dommages et intérêts.
Retournée chez sa mère, elle devient un temps elle-même courtisane pour subvenir à ses besoins avant de reprendre le chemin de la scène.
Libérée de ses obligations avec la Comédie Française, elle part alors, grâce à l’aide de son impresario Edward Jarrett – rencontré à Londres – sillonner les routes des cinq continents pour des tournées pharaoniques que les médias ne manqueront pas de relayer.
Le succès sera tel que la Comédie Française réclamera son retour.
Lassée de jouer pour d’autres, elle finit par racheter en 1893 le Théâtre de la Renaissance pour y interpréter de nouveau ses plus grands rôles, avant de jeter son dévolu en 1899 sur le Théâtre des Nations qu’elle rebaptise Théâtre Sarah Bernhardt.
Entre 1899 et 1914, elle interprète une quarantaine de rôles, de Cléopâtre à la Dame aux Camélias en passant par la Tosca et Théodora.
Scandaleusement en avance sur l’époque
Ce qui frappe d’abord les contemporains de son temps, c’est son indépendance hors norme pour l’époque, alors qu’elle multiplie les amants célèbres (Victor Hugo, Napoléon III, Georges Clairin…) et refuse les diktats de la société. Cette Dom Juan féminine se montre ainsi féministe avant l’heure.
En amour comme au travail, Sarah est d’abord guidée par la passion.
Elle écrira ainsi “Je ne suis pas faite pour le bonheur. Je vis d’émotions sans cesse renouvelées et je vivrai ainsi jusqu’à l’épuisement de ma vie.”
Pour frapper les esprits et entretenir son mythe, la Bernhardt s’appuie sur une innovation balbutiante, la photographie avec des pionniers comme Félix Nadar.
La Grande Sarah utilise l’affiche publicitaire pour promouvoir son image dans ses tournées, signant notamment un contrat d’exclusivité de six ans avec Alfons Mucha, figure référente de l’art nouveau.
Elle comprend très vite qu’il n’y a pas de mauvaise presse mais que de la bonne publicité.
Associant son image à des produits de consommation, elle est l’une des premières ambassadrices de marque.
Elle choque par ses mœurs et ses manières, se maquillant en public – faisant entrer le rouge à lèvres dans la légende – ou portant un pantalon, une pratique interdite aux femmes de son époque.
Libre, Sarah Bernhardt refuse les étiquettes déterministes. Se présentant à la fois artiste et comédienne, elle ne manque pas d’ulcérer la bourgeoisie qui ne tolère pas le mélange des genres.
Enfin, elle fascine ses contemporains par son goût pour l’étrange, mélangeant glamour et morbide. C’est ainsi que lorsqu’elle accueille chez elle sa demi-soeur tuberculeuse, elle lui laisse son lit pour dormir à ses pieds dans un cercueil.
Politiquement engagée, elle n’hésite pas à soutenir l’anarchiste Louise Michel ou encore de prendre fait et cause pour Alfred Dreyfus ou les communards lors de la Commune de Paris.
Lors du siège de Paris, elle transforme le théâtre de l’Odéon en foyer militaire.
Enfin, Sarah Bernhardt est aussi une pygmalionne, contribuant à faire connaître des talents d’artistes comme la peintre et sculptrice Louise Abbéma.
Tournée mondiale triomphale
Si la carrière de Sarah Bernhardt est aussi singulière, c’est aussi parce qu’elle réalise des tournées XXL sur les cinq continents : en Europe, en Afrique (Egypte), dans les deux Amériques et même en Australie.
Pour gagner ses salles de spectacle dans des infrastructures plus ou moins éphémères, elle avale les kilomètres à bord de son train personnel Pullman Palace, emportant avec elle ses 42 malles de toilettes et d’effets personnels.
Dans son périple, elle n’était pas seule, étant épaulée par ses deux servantes, deux cuisiniers, un serveur, son maître d’hôtel et son assistante personnelle, Madame Guérard.
Partout où elle passe, elle est accueillie au son de la Marseillaise en particulier lors de sa première tournée américaine en 1880, devenant ainsi la personnification de la France. Ainsi, le touriste de l’époque, en visite à Paris, n’a-t-il envie que de voir “deux choses : la tour Eiffel et… Sarah Bernhardt.” Elle finit ainsi par incarner le mythe de la Parisienne en pleine Belle Époque.
Sa première tournée est un véritable marathon : 157 représentations dans 51 villes. A New York, elle interprète Adrienne Lecouvreur de Scribe au Booth Theatre devant un public qui a payé un billet au prix fort de 40 dollars, une somme conséquente pour l’époque, d’autant plus que la plupart ne parlent pas un mot de français. Durant cette période, elle traverse les Etats-Unis, le Canada, de Montréal et Toronto à Saint Louis et La Nouvelle-Orléans.
Dans certains endroits, les salles de spectacle ne permettent pas toujours d’accueillir une foule compacte, si bien qu’on doit dresser des chapiteaux de cirque d’une contenance de 5000 personnes !
La presse de l’époque rapporte ainsi qu’à New York, les hommes jettent leur manteau par terre afin qu’il soit piétiné par l’actrice ou qu’elle passe trois heures à dédicacer leurs manchettes de chemise.
Et que dire de ce cow-boy qui parcourt plus de 400 km rien que pour la voir sur scène à Dallas ?
Rapportant un coffre, rempli de 194 000 dollars en pièces d’or, elle déclare à ses amis « J’ai traversé les océans, portant en moi mon rêve d’art, et le génie de ma nation a triomphé. J’ai planté le verbe français au cœur d’une littérature étrangère, et c’est de cela que je suis la plus fière. »
Elle retournera sur le sol américain à huit reprises jusqu’en 1916. Cette dernière année, elle milite pour l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne, rentrant en France le 11 novembre 1918.
Excessive dans ses engagements et dans ses choix, elle réussira également sa sortie : ses obsèques auront attiré plus de monde dans Paris que Johnny Hallyday. Le 29 mars 1923, un million de personnes se pressent entre son domicile parisien, au 56, boulevard Pereire (17e) et le cimetière du Père-Lachaise.
Là encore, on ne peut donner tort à Edmond Rostang, ami et dramaturge à l’origine de certains de ses plus grands rôles (notamment l’Aiglon) lorsqu’il déclarait de son vivant : “Et quelle façon elle a d’être légendaire et moderne !”.
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[EN] VICTOR GOSSELIN IS A JOURNALIST SPECIALIZING IN LUXURY, HR, WEB3 AND RETAIL. HE PREVIOUSLY WORKED FOR MEDIA SUCH AS SPARKS IN THE EYES, WELCOME TO THE JUNGLE, LE JOURNAL DU LUXE AND TIME TO DISRUPT. A GRADUATE OF EIML PARIS, VICTOR HAS EXPERIENCED MORE THAN 7 YEARS IN THE LUXURY SECTOR BOTH IN RETAIL AND EDITORIAL. CULTIVATING A GREAT SENSIBILITY FOR THE FASHION & ACCESSORIES SEGMENT, HERITAGE TREASURES AND LONG FORMAT, HE LIKES TO ANALYZE LUXURY BRANDS AND PRODUCTS FROM AN ECONOMIC, SOCIOLOGICAL AND CULTURAL ANGLE TO UNFOLD NEW CONSUMPTION BEHAVIORS. BESIDES HIS JOURNALISTIC ACTIVITY, VICTOR ACCOMPANIES TECH STARTUPS AND LARGE GROUPS IN THEIR CONTENT PRODUCTION AND EDITORIAL STRATEGY. HE NOTABLY LAID THE FOUNDATIONS FOR FASHION & LUXURY TRENDY FEATURE ARTICLES AT HEURITECH AND WROTE THE TECH SPEECHES OF LIVI, INNOVATION INSIDER OF THE LVMH GROUP.************** [FR] Victor Gosselin est journaliste spécialiste des univers luxe, RH, tech et retail, passé par Sparks In The Eyes, Welcome To The Jungle, le Journal du luxe et Time To Disrupt. Diplômé de l’EIML Paris, il dispose de plus de 7 ans d’expérience dans le secteur du luxe aussi bien sur la partie retail que éditoriale. Cultivant une grande sensibilité pour le segment mode & accessoires, l’Asie, les trésors du patrimoine et le long format, il aime analyser les marques et produits de luxe sous l’angle économique, sociologique et culturel pour révéler de nouveaux comportements de consommation. En parallèle de son activité journalistique, Victor accompagne les startups tech et grands groupes dans leur production de contenu et leur stratégie éditoriale. Il a ainsi posé les bases des articles de fond tendanciels Mode & Luxe chez Heuritech ou encore rédigé les prises de parole tech de Livi, Innovation Insider du groupe LVMH.